Les clauses de qualité pour garantir le pouvoir à ceux qui sont légitimes à l’exercer
Très souvent, dans une société, on souhaite dissocier le pouvoir de décision des aspects purement financiers. Le C.S.A. ouvre de nouveaux horizons.
1. Les classes d’actions
Imaginons une entreprise familiale. Les parents souhaitent passer la main à la génération suivante. De leurs trois enfants, un seul est intéressé. Il sera d’accord de partager la propriété patrimoniale de l’entreprise avec ses frères et sœurs, mais il souhaite avoir les mains libres pour gérer celle-ci à sa guise.
Ou alors, pensons à une start-up. Les fondateurs font appel à des investisseurs, mais ils ne souhaitent pas perdre le contrôle de leur projet, de leur société.
Il existe plusieurs méthodes pour répondre à cette même préoccupation : dissocier l'exercice du pouvoir des aspects purement financiers.
La plus classique est de créer des classes d’actions.
Le mécanisme est bien connu. En bref, :
- on crée des actions de classe A et actions de classe B ;
- on attribue les actions de classe A à celui ou ceux qui exerceront le pouvoir (l’enfant qui reprend la société familiale ; les startuppers) et celles de classe B aux autres actionnaires (les frères et sœurs ; les investisseurs) ;
- on prévoit dans les statuts que les titulaires d’actions de classe A pourront présenter une liste de candidats administrateurs sur laquelle ils en désigneront trois tandis que les titulaires d’actions de classe B pourront présenter une liste sur laquelle ils pourront en désigner deux ;
- avec trois administrateurs contre deux, les titulaires des actions de classe A ont donc la maitrise du Conseil d’administration.
2. Les limites au mécanisme
Cette technique éprouvée n’est pas sans présenter divers écueils.
Le principal apparait lorsque, pour quelle que raison que ce soit, les actions de classe A viennent à changer de main. En effet, il était pertinent que l’enfant repreneur ou le startupper exerce le pouvoir, mais celui qui a repris ses parts bénéficie-t-il de la même légitimité ?
En outre, l’esprit de base qui voulait que les actions de classes A et B aient la même valeur patrimoniale est mis à mal tant il est vrai que les actions qui donnent un pouvoir plus grand valent plus que les autres.
Bon gré mal gré, on s’accommodait du mécanisme, en tentant d’en diminuer les effets pervers par des clauses diverses et variées dans les statuts ou des pactes d’actionnaires.
3. Les solutions nouvelles
La Code des Sociétés et des Associations (C.S.A.), qui entre en vigueur par vagues (1ier mai 2019, 1ier janvier 2020, …, 1er janvier 2024), apporte des solutions nouvelles.
Précédemment (c’est-à-dire depuis des siècles), un principe coulé dans le bronze et l’airain voulait qu’une action donne droit à une voix à l’assemblée générale.
Aujourd’hui, le bronze et l’airain ont fondu : le C.S.A. a introduit le vote plural (hormis pour les sociétés cotées) (art. 5:42 pour les S.R.L. ; art. 7:51 et 7:52 pour les S.A.).
Cette révolution ouvre à d’innombrables perspectives.
Ainsi, s’agissant de la situation qui nous occupe, plutôt que de créer des classes d’actions, on insèrera dans les statuts une clause de qualité mettant en place le mécanisme suivant [1] :
- on attribue une « qualité » aux actionnaires (actionnaires « ès qualités ») dont on souhaite qu’ils détiennent le pouvoir (le fondateur de la start-up ou l’enfant repreneur) ; ils seront qualifiés de « super-actionnaires »;
- on prévoit que, s’agissant de la nomination et de la révocation des administrateurs, les super-actionnaires disposeront d’un vote plural (double, triple, quadruple, etc.) ; on leur accorde donc un « super-pouvoir » ;
- on prévoit que trois administrateurs seront désignés sur une liste présentée par les super-actionnaires tandis que deux administrateurs seront nommés sur une liste présentée par les autres actionnaires et recueillant l’approbation de la majorité de ceux-ci ;
- avec trois administrateurs contre deux, les super-actionnaires ont la maitrise du Conseil d’administration.
Le grand avantage de système est que si un super-actionnaire cède ses actions, les super-pouvoirs disparaissent automatiquement puisque, par hypothèse, le cessionnaire ne sera pas un actionnaire « ès qualités ».
On ainsi évite le problème des actions de classe A qui passent de mains en mains, avec tous les pouvoirs qui les accompagnent, ce qui perturbe l’équilibre de départ.
Bien entendu, ces clauses de qualité peuvent être déclinées, aménagées, modulées en fonction des circonstances. Le ciel n’est pas la limite à l’imagination, mais le fait est que le C.S.A. est vraiment très libéral.
4. Conclusion
En conclusion, le C.S.A. vient bousculer les habitudes, mais surtout offrir des solutions simples dont il serait dommage de ne pas tirer avantage. Les clauses de qualité en sont un parfait exemple.
Il ne vous reste plus qu’à contacter le cabinet d’avocats SOLUTIO afin de rechercher ensemble comment répondre à vos besoins.
Me Thierry Corbeel
avocat spécialiste en droit des sociétés et en droit commercial
[1] Ph. BOSSARD, « L’organisation et la répartition du pouvoir », dans : Le nouveau droit des sociétés et des associations, Larcier, 2019, p. 329 et svt (spécialement n° 7).