Le risque d'inexécution du contrat par le cocontractant
Suis-je obligé d’exécuter le contrat alors que tout indique que mon cocontractant n’exécutera pas ses propres obligations ?
1. Introduction
J’ai signé un contrat avec ce client ; je n’aurais jamais dû : je ne le sentais pas ! Et maintenant, tout indique qu’il ne me payera pas ? Suis-je quand même obligé de le livrer ?
2. L’exception d’inexécution anticipée
On sait que, lorsque le cocontractant est en défaut d’exécuter ses obligations, on peut soi- même suspendre l’exécution de ses propres obligations. C’est ce que les juristes appellent «l’exception d’inexécution» (exceptio non adimpleti contractu) (voir notre fiche d’information sur le sujet).
Mais que se passe-t-il lorsqu’on se situe dans une zone grise ? Que se passe-t-il si, actuellement le cocontractant n’est pas encore en défaut d’exécution, mais que l’on craint qu’il le devienne bientôt.
Peut-on, en pareil cas, invoquer l’exception d’inexécution, à titre préventif ? La doctrine parle à ce sujet d’ «exception d’inexécution anticipée» (exceptio timoris).
La réponse est non !
Pourquoi ? Parce que l’article 1186 du Code civil énonce que « ce qui n’est dû qu’à terme, ne peut être exigé avant l’échéance du terme ».
Ainsi donc, quelles que soient les craintes qui pèsent sur la solvabilité du cocontractant, tant que la créance n’est pas échue, celui-ci ne commet aucune faute en ne la payant pas. Et tant qu’il ne commet aucune faute, l’exception d’inexécution ne peut être valablement invoquée.
Quelques tempéraments peuvent toutefois être apportés à la règle :
a) En cas de faillite du débiteur, celui-ci perd le bénéfice du terme qui lui avait été accordé (article 1188 du Code civil). Le débiteur failli doit donc payer comptant.
S’il ne le fait pas, il y aura inexécution effective (et non plus seulement la crainte d’une inexécution) et le créancier pourra valablement invoquer l’exception d’inexécution.
L’article 1613 du Code civil applique cette règle au cas particulier de la vente : le vendeur n’est pas obligé de délivrer les marchandises vendues si, depuis la conclusion du contrat, l’acheteur est tombé en faillite, à moins que celui-ci ne donne des garanties de paiement.
Mais, s’il y a seulement une crainte que l’acheteur tombe en faillite, l’article 1613 ne s’appliquera pas (H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, T. IV, Vol. 1, 4ème éd. par A. MEINERTZHAGEN- LIMPENS, Bruylant, 1997, p. 205, n° 126 ; C. MARR, "L'exception d'inexécution comme instrument de prévention : vers un principe général de sanction de l'inexécution anticipée ? ", note sous Comm. Mons, 5 nov. 2003, J.L.M.B., 2005, p. 1066).
b) Pour éviter d’avoir à s’exécuter alors qu’il nourrit des craintes quant à l’exécution corrélative par son cocontractant, le créancier pourrait tenter d’invoquer le principe général d’exécution de bonne foi des conventions (M. VANWIJCK-ALEXANDRE, Aspects nouveaux de la protection du créancier à terme : les droits français et belge face à l' «Anticipatory breach de la Common Law», Liège, Collection scientifique de la Faculté de droit de Liège, 1982, p. 238 ; M. GREGOIRE, "Les sanctions unilatérales en cours de contrat", dans : La volonté unilatérale dans le contrat, Ed. JBB, 2008, p. 239, n° 19).
Mais il faut bien reconnaître que ce principe est la tarte à la crème du droit des contrats et que l’on a tendance à le servir à toutes les sauces ... .
c) La doctrine est généralement favorable à l’admission de l’exception d’inexécution par anticipation (P. WERY, Droit des obligations – Théorie générale du contrat, Larcier, 2009, p. 677, n° 780), tout en reconnaissant que le principe énoncé à l’article 1186 du Code civil constitue un obstacle majeur.
d) La jurisprudence en la matière est rarissime ; en faveur de l’exception, on cite généralement une décision isolée du Tribunal de commerce de Mons qui a jugé que :
«il n'est pas raisonnable d'obliger une partie à s'exécuter, ce qui peut l'amener à engager des frais ou diminuer ses garanties, alors qu'elle est en droit de nourrir des craintes sérieuses, appuyées sur des éléments matériels solides, quant à l'exécution des obligations de son cocontractant à l'expiration du terme» (Comm. Mons, 5 nov. 2003, J.L.M.B., 2005, p. 1060).
3. La résolution anticipée – anticipatory breach
Plutôt que de seulement suspendre l’exécution de ses propres prestations, le créancier qui craint que son débiteur ne s’exécute pas pourrait-il aller jusqu’à mettre fin au contrat, en anticipant la faute de son cocontractant ?
Ce serait très audacieux de sa part.
En effet, si l’exception d’inexécution anticipée est acceptée par la doctrine et reconnue du bout les lèvres par la jurisprudence, par contre, la résolution anticipée n’est clairement pas admise en droit belge (Par contre, les droits anglo-saxons reconnaissent le principe de l’anticipatory breach. Il est également reconnu par la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises (articles 72 et 73)).
4. Convention
Le créancier évitera donc bien des difficultés en insérant une disposition ad hoc dans ses contrats ou ses conditions générales.
Tout est cas d’espèce, mais, d’une manière générale, la clause détaillera (M. VANWIJCK-ALEXANDRE, "Les clauses relatives à la prévision de l’inexécution. Les clauses d’ « anticipatory breach »", dans : Les clauses applicables en cas d’inexécution des obligations contractuelles, La Charte, 2001, p. 197, n° 12) :
- le risque d’insolvabilité : définition large, ou circonstances précises ;
- les manquements anticipés : tous, ou seulement les obligations essentielles ;
- les sanctions : l’exception d’inexécution anticipée et/ou la résolution anticipée ;
- les palliatifs éventuels : possibilité ou non pour le créancier d’exiger des garanties, et si oui, lesquelles.
5. Conclusion
Suis-je obligé d’exécuter le contrat alors que tout indique que mon cocontractant n’exécutera pas ses propres obligations ?
Normalement, oui ! À moins d’avoir prévu une clause ad hoc dans le contrat.