Sanctions en cas de dépôt tardif des comptes annuels ou en l'absence de dépôt des comptes annuels
Sanctions civiles, pénales, administratives ou même dissolution judiciaire, les sanctions en cas de dépôt tardif ou d'absence de dépôt peuvent s'avérées très lourdes.
1. Introduction
Chaque année, le Conseil d’administration d’une société anonyme (ou le gérant/conseil de gérance d’une sprl) doit établir les « comptes annuels » (Conformément à l’article 92, § 1er, 1er aliéna, in fine du Code des sociétés les « comptes annuels comprennent le bilan, le compte des résultats ainsi que l’annexe et forment un tout » ; Les petites sociétés en commandite simple ou en nom collectif ne sont pas tenues d’établir ces comptes. Voy. J. MALHERBE, Y. de CORDT, P. LAMBRECHT & P. MALHERBE, Droit des sociétés, 4ème ed., Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 277). Ensuite, il doit les soumettre à l’approbation de l’Assemblée générale dans les six mois de la clôture de l’exercice. Enfin, dans les trente jours de leur approbation par l’assemblée générale, et au plus tard sept mois après la clôture de l’exercice, le Conseil doit déposer les comptes approuvés à la Centrale des bilans de la Banque Nationale de Belgique (article 98 du Code des sociétés).
Si l’exercice de la plupart de sociétés coïncide avec l’année civile, les comptes annuels doivent être approuvés le 30 juin et déposés au plus tard le 31 juillet.
Ces règles sont claires, mais que se passe-t-il en cas de difficultés, par exemple en cas de dépôt tardif ou d’absence de dépôt ?
2. Sanctions en cas de dépassement des délais
2.1. Sanctions civiles
Si le délai de six mois pour la présentation des comptes à l’assemblée générale et/ou le délai de trente jours pour le dépôt à la BNB ne sont pas respectés, « le dommage subi par les tiers est, sauf preuve contraire, présumé résulter de cette omission » (articles 92, § 1er, al. 3 & 98, al. 3 du Code des sociétés) (Mons, 6 mars 2013, J.L.M.B., 2014, p. 568). Dis autrement, il s’opère ici un renversement de la charge de la preuve : c’est l’entreprise qui devrait prouver qu’il n’y a pas eu de dommage dans le chef d’un tiers suite au dépôt tardif de ses comptes annuels.
Par le jeu de cette présomption, les administrateurs risquent, solidairement (article 528 du Code des sociétés), de voir leurs responsabilités personnelles mises en cause à concurrence, pour faire bref, de l’aggravation du passif depuis la date à laquelle les comptes auraient dû, respectivement, être soumis à l’assemblée ou déposés à la BNB.
Cette sanction est tout à fait similaire à celle qui frappe les administrateurs qui n’ont pas convoqué l’assemblée générale extraordinaire de la société dans les deux mois, lorsque l’actif net est réduit à moins de la moitié du capital (article 633 du Code des sociétés – procédure dite « de la sonnette d’alarme »).
2.2. Sanctions administratives
En cas d’omission du dépôt ou de dépôt tardif des comptes annuels, les sociétés doivent faire face à une majoration tarifaire, laquelle correspond à une contribution supplémentaire aux frais exposés par les autorités fédérales de surveillance qui sont chargées de dépister et de contrôler les entreprises en difficultés (article 101 du Code des sociétés).
Il existe deux types de règles.
Pour les entreprises qui publient leurs comptes annuels « de manière complète » (contra sous forme abrégée), leur contribution s’élèvera à 400 €, 600 € ou 1.200 € si les comptes annuels sont finalement déposés, respectivement durant le 9ème, du 10ème au 12ème mois ou à partir du 13ème mois.
Cependant pour celles qui doivent publier leurs comptes annuels sous forme abrégée (à savoir les plus petites sociétés), les contributions sont respectivement réduites à 120 €, 180 € et 360 €.
Petite consolation : la majoration forfaitaire constitue une charge professionnelle déductible (Deloitte Fiduciaire (2014), Charges déductibles, en ligne http://www2.deloitte.com; Wolters Kluwer (2015) Les conséquences de l'absence de dépôt ou du dépôt tardif des comptes annuels, en ligne http://www.kluwereasyweb.be).
Cette majoration pourra aussi être remboursée si la société arrive à prouver que ce dépôt tardif est dû à la force majeure (article 101 du Code des sociétés).
Les administrateurs sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de ces amendes !
2.3. Sanctions pénales
Les administrateurs qui ont contrevenu aux dispositions du Code des sociétés citées ci-dessus peuvent être punis d’une amende (pénale) de 50,00 € à 10.000,00 € (à multiplier par 5,5). S’ils ont agi avec intention frauduleuse, la sanction peut s’alourdir d’un emprisonnement de 1 mois à 1 an … (article 126, § 1, 1° du Code des sociétés).
Que l’on se rassure cependant, sauf en cas d’intention frauduleuse et tant qu’elle reste isolée, le parquet n’a pas pour pratique de poursuivre ce type d’infraction.
3. Autres conséquences de l’absence de dépôt des comptes annuels à la BNB
3.1. Dissolution judiciaire
En vertu de l’article 182, § 1er du Code des sociétés, lorsqu’une société reste en défaut de déposer ses comptes pendant trois exercices consécutifs, tout intéressé (p.e. un actionnaire minoritaire, un travailleur, un créancier, voire même un concurrent) ou le ministère public peut demander la dissolution judiciaire de la société en question.
Celle-ci pourra toutefois régulariser sa situation in extremis, soit avant le prononcé du jugement décidant de la dissolution.
3.2. Indice d’insolvabilité
L’absence de dépôt des comptes annuels est un indice fort d’un risque d’insolvabilité justifiant que soit pratiquée une saisie-arrêt conservatoire à charge de la société en question
(voir à ce propos notre fiche « Saisie-arrêt conservatoire sur base d’une facture non contestée »).
4. Que se passe-t-il si l’assemblée générale n’approuve pas les comptes annuels ?
L’Assemblée générale a le pouvoir de ne pas approuver les comptes annuels qui lui sont soumis par le Conseil d’administration.
Toutefois, sauf en ce qui concerne l’affectation des résultats pour laquelle elle dispose d’un pouvoir souverain, en aucune manière, l’assemblée générale ne pourrait décider d’une modification aux comptes annuels : elle approuve ou elle rejette ; elle ne peut jamais modifier les comptes annuels sans le consentement du Conseil d’administration (M. DE WOLF, “Sociétés anonymes : assemblées générales et comptes annuels” in La tenue des assemblées générales dans les sociétés anonymes, Séminaire Vanham & Vanham du 29 avril 1997, p. 12).
Et lors de l’assemblée générale appelée à se prononcer sur les comptes, le Conseil d’administration ne pourrait pas non plus modifier in extremis son projet afin d’en obtenir l’approbation.
En effet, en cas de désapprobation de l’Assemblée générale, le Conseil pourra:
- S’il n’accepte pas les observations formulées par l’Assemblée, proroger, séance tenante, l’assemblée de 3 semaines (article 555 du Code des sociétés) ; il mettra alors ce délai à profit pour convaincre une majorité d’actionnaires (dont ceux de la majorité silencieuse qui n’étaient pas présents lors de la séance. Voy. J. MALHERBE, Droit des sociétés, op. cit., p. 278) d’approuver son projet de comptes – auquel il ne pourra cependant apporter aucune modification.
- S’il accepte les observations à propos de son projet de compte, convoquer une nouvelle assemblée générale pour lui soumettre les comptes modifiés.
5. Que se passe-t-il si l’assemblée générale ne prend pas de décision ?
Il peut arriver que, alors que les comptes lui ont été soumis à temps et à heure par le Conseil d’administration, l’assemblée générale ne prenne aucune décision. Pareille situation se rencontrera, par exemple, en cas de blocage de l’assemblée suite à un conflit entre actionnaires.
En pareil cas, le Conseil d’administration ne pourrait décider d’approuver lui-même les comptes, fut-ce à titre provisoire. En effet, l’approbation des comptes annuels est une compétence légalement réservée à l’assemblée. En outre, il ne pourrait déposer à la BNB des comptes non approuvés.
Il faudra donc résoudre la situation de blocage, le plus souvent par une procédure judiciaire en exclusion d’un associé ou en rachat forcé d’actions (article 636 et suivants du Code des sociétés).
Notons toutefois que l’obligation faite au Conseil d’administration de déposer les comptes annuels n’existe que dans la mesure où ces comptes ont été approuvés par l’assemblée. Aussi, même si l’absence de décision de l’assemblée engendre un retard de publication, la responsabilité des administrateurs ne pourrait pas être mise en cause.
6. Conclusion
Afin d’éviter des sanctions diverses et variées, « rien ne sert de courir ; il faut partir à point. »