Du changement en matière de responsabilité, notamment des administrateurs
Tout change, y compris le célèbre article 1382 du Code civil qui énonçait que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par le fait duquel il est arrivé à le réparer ».
Le sixième livre du Code civil, consacré à la responsabilité extracontractuelle, est entré en vigueur le 1er janvier 2025. Il régit les situations où la responsabilité d’une personne peut être engagée en dehors de tout lien contractuel avec la victime d’une faute.
Ces changements législatifs bouleversent les règles dans de nombreux domaines. On en retient deux : la responsabilité des sous-traitants et la responsabilité des administrateurs.
Essayons de résumer la situation, en gardant à l’esprit qu’il faudra nécessairement simplifier et schématiser.
Jusqu’au 31 décembre 2024, le principe de base était que si une personne subissait un préjudice et avait un lien contractuel avec la personne responsable de la faute, elle ne pouvait poursuivre cette dernière que sur la base de sa responsabilité contractuelle et presque jamais sur la base de sa responsabilité extracontractuelle.
Le responsable présumé, pour se défendre, pouvait invoquer des clauses contractuelles, notamment celles qui limitent ou excluent sa responsabilité. A l’inverse, dans les rares cas où la victime pouvait mettre en cause la responsabilité extracontractuelle du responsable (spécialement parce que la faute reprochée constituait également une infraction pénale), celui-ci ne pouvait se défendre en invoquant ces clauses du contrat.
Ce principe était connu sous le nom de règle du concours (ou plutôt de l’interdiction du concours).
Cette règle revêtait une grande importance car les mécanismes juridiques et les procédures diffèrent considérablement entre les deux systèmes de responsabilité (par exemple, en termes de délai ou de période d’expiration).
En outre, lorsque l’exécution matérielle du contrat était assurée par une partie tierce au contrat (un travailleur, un sous-traitant ou un administrateur), la Cour de cassation considérait que, du point de vue du cocontractant, il ne s’agissait pas de véritables tiers, mais plutôt de substituts du débiteur de l’obligation. Aussi vu la règle du concours, le cocontractant qui s’estimait victime ne pouvait donc pas agir contre eux sur une base extracontractuelle ; il ne pouvait alors agir -sauf de rares exceptions- que sur base de la responsabilité contractuelle de celui avec qui il avait conclu le contrat et pas contre les sous-traitants ou les administrateurs de la société avec laquelle il avait conclu un contrat.
Il en résultait ce que l’appelait une quasi-immunité des agents d’exécution.
Depuis le 1er janvier 2025, l’interdiction du concours disparaît. Dorénavant, la victime peut agir contre celui qu’elle estime responsable, tant sur un fondement contractuel que sur une base extracontractuelle.
Celui dont la responsabilité extracontractuelle est ainsi mise en cause pourra toutefois invoquer les moyens de défense résultant du contrat. Pour celui-ci, globalement, c’est donc plus ou moins la même chose qu’avant.
Par contre, et là c’est une véritable nouveauté, puisque la règle du concours disparait, la victime peut maintenant également agir, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, contre les agents d’exécution, que l’on appelle désormais des « auxiliaires ».
La partie à un contrat qui s’estime victime d’une faute de son cocontractant, qu’en pratique elle attribue à un auxiliaire de celui-ci, tel un administrateur ou un sous-traitant, peut donc agir directement contre ceux-ci en mettant en cause leur responsabilité extracontractuelle !
On sent déjà un vent de panique !
Toutefois :
- pour se défendre, l’auxiliaire pourra invoquer tous les moyens de défense résultants tant de sa relation contractuelle avec son cocontractant, que ceux que celui-ci pourrait lui-même invoquer vis-à-vis de la victime ; le sous-traitant, attaqué par le client final, pourra donc invoquer les clauses figurant tant dans son contrat avec l’entrepreneur principal que celles figurant dans le contrat entre l’entrepreneur et le client final ;
- si, suite à une longue évolution jurisprudentielle, la Cour de cassation avait considéré à partir de 2016, que les administrateurs de personnes morales étaient des « agents d’exécution », rien ne dit que, demain, ceux-ci seront encore considérés comme des « auxiliaires » ; il en va spécialement ainsi dès lors que, depuis 2016, le C.S.A. est entré en vigueur et que celui-ci décrit à longueur d’articles que les administrateurs sont des organes et non des exécutants.
Enfin et surtout, la possibilité d’invoquer la responsabilité extracontractuelle du cocontractant et de ses auxiliaires existe, sauf clause contraire.
Ainsi donc, on sera bien inspiré d’insérer dans les contrats une clause telle que la suivante :
« Notre cocontractant s’interdit de mettre en cause notre responsabilité extracontractuelle ainsi que celle de nos auxiliaires, sauf les exceptions impératives ou d’ordre public prévues par la loi ».
Une telle clause ne sera pas la martingale qui permettra de s’en sortir à tous les coups (attention notamment dans les relations B2C), mais elle constituera néanmoins un premier solide rempart.
Pas de panique donc, à condition de bien anticiper !
L’équipe Solutio