Irrégularité lors de la convocation d’une assemblée générale
Imaginons une société comptant trois actionnaires : Jean, 40 % des voix ; Sabine, 45 % des voix ; Fred, 15 % des voix. Jean et Sabine s’entendent et collaborent très bien tandis que Fred est le mouton noir. Une AG est convoquée et on a « oublié » de convoquer Fred (ou on n’a pas respecté les délais, ou des documents n’étaient pas joints à la convocation, etc.).
En règle, un tel oubli constitue une irrégularité susceptible d’entrainer la nullité de l’AG, conformément à l’article 2:42 du C.S.A. Exceptionnellement toutefois, certaines formalités sont prescrites à peine de nullité (p.ex. : rapport justifiant de la suppression / limitation du droit de préférence – art. 5:131 C.S.A.).
Si Fred disposait d’une minorité de blocage (p.ex. parce que, sur la question discutée en AG, les statuts prévoient l’unanimité), la nullité serait quasiment automatique : avec sa minorité, il aurait voté contre la résolution proposée et nécessairement, celle-ci n’aurait pas été adoptée. CQFD.
Mais dans notre exemple, ce n’est pas le cas : la nullité n’est donc pas automatique.
Il faut alors faire un « test d’influence » qui consiste à rechercher si l’irrégularité a pu avoir une influence sur la délibération ou sur le vote.
Pour obtenir en justice la nullité de la décision de l’AG, Fred ne devra pas démontrer qu’à coup sûr, si l’irrégularité n’avait pas été commise, la décision de l’AG aurait été différence. On se contente ici de vraisemblances : peut-on raisonnablement penser que si Fred avait été présent, par sa force de persuasion, par son autorité naturelle ou morale, par les questions qu’il aurait pu poser, par des informations complémentaires qu’il aurait pu partager ou par ses compétences techniques que les autres n’ont peut-être pas, etc., il aurait pu amener l’assemblée à décider autrement ?
On le voit, tout est cas d’espèce. Il faut toutefois reconnaître qu’en pratique, la preuve, alors pourtant qu’il ne s’agit que d’établir une vraisemblance, est assez difficile à rapporter.
À l’inverse, si avant l’assemblée, Jean, Sabine et Fred avaient déjà longuement échangé par email et que des informations et arguments avaient déjà été avancés et débattus sans faire avancer la discussion, la possibilité que Fred, si l’irrégularité n’avait pas été commise, ait pu amener l’assemblée à prendre une autre décision sur le même sujet serait à peu près nulle.
Est-ce à dire qu’on peut, souvent impunément, se contreficher des actionnaires minoritaires et ne pas les convoquer aux AG ?
Certainement pas. En effet, si l’irrégularité a été commise avec une intention frauduleuse, c’est-à-dire déloyalement en vue de causer un dommage ou de priver d’un gain, la nullité sera (quasiment) automatique.
En outre, l’irrégularité, même si elle n’entraine pas la nullité :
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pourrait engager la responsabilité personnelle des administrateurs ;
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pourrait constituer un juste motif permettant à Fred d’introduire une action en retrait forcé.
On le voit, il ne faut pas crier trop vite à la nullité, mais il faut se garder d’un sentiment d’impunité.